31 Déc Journal Le Devoir parle de nous!
Le récit est chinois, l’interprétation, en français. Créée en 2024, la pièce de théâtre Le roi de singes a été jouée trois fois au Québec et depuis, c’est le calme plat au calendrier 2025 des représentations. Aurore Liang, conceptrice de cette œuvre qui mélange les arts d’ici et d’ailleurs constate que derrière les grands discours d’ouverture à la diversité, un plafond de verre attend les artistes qui tentent de mélanger les cultures.
Les comédiens sont cette fois reconnaissables dans un local de répétition de Villeray. Les costumes et le maquillage camouflaient ces interprètes des pieds à la tête lors de la première représentation montréalaise de la pièce, quelques jours plus tôt. L’équipe d’une vingtaine de personnes en tout et de six nationalités différentes ne sait pas quand ils pourront remonter sur les planches, déplore Aurore Liang, malgré plus d’un an de préparation. « On sait ce qu’on est. On sait qu’on est bons. J’entends l’applaudissement du côté québécois, j’entends l’applaudissement du côté chinois. Ça montre que tout le monde aime dans votre travail. On a monté notre propre sauce. »
Dans cette pièce aux allures de commedia dell’arte orientale, la dramaturge joue le rôle de narratrice. Elle déclame pendant plus d’une heure un classique de littérature chinoise dans un français soutenu, avec des ombres chinoises et une harpe « guzheng » pour ambiance. Cet art en fusion n’a pas été adopté par les diffuseurs ou les organismes subventionnaires, se désole-t-elle, peut-être à cause d’un professionnalisme mal compris.
« Dans le grand environnement, on dit qu’on soutient la diversité, l’immigration, mais pour nous, quand on arrive au microenvironnement, les gens se demandent : “Est-ce que j’arrive à remplir la salle ? Est-ce que les gens vont aimer ? Est-ce que les Chinois parlent français ? Est-ce qu’on arrive à comprendre ? Ça fait des siècles et des siècles qu’on ne comprend rien sur la culture chinoise, j’ai l’impression que c’est tellement énorme. C’est tellement gros, est-ce qu’enfin l’équipe peut arriver à faire comprendre ça ? »
Le « gros défi » de mélanger les genres
Le français n’est pas la langue maternelle de Mme Liang. Elle ne possède pas de formation en théâtre. Oiseau rare dans une diaspora qui se destine plus traditionnellement à la médecine, au droit, l’ingénierie, ou à des métiers libéraux, elle a décidé de s’associer avec des artisans québécois pour arrimer ses deux cultures.
Elle a requis l’aide d’un auteur pour adapter le texte, puis d’un professeur d’interprétation de l’Université Concordia, Robert Reid, pour la mise en scène. Ce dernier le reconnaît, il lui a fallu au début quelqu’un pour lui chuchoter à l’oreille les référents culturels pour bien comprendre ce qu’il regardait. « Je suis vraiment une très bonne personne qui peut aider les gens à comprendre [le théâtre chinois], parce que j’étais comme n’importe qui qui n’a pas aimé », laisse-t-il tomber.
Son parcours à lui l’a mené en Chine, à Pékin même, pour s’initier à ces mystérieux codes orientaux. Idem pour l’actrice principale de la pièce, Michelle Jiang, qui détient une formation complète en « opéra de Pékin ». Rendre ce monde lointain accessible à un public d’ici a été « un gros défi » pour Aurore Liang.
« On aime beaucoup la tradition. On veut recevoir un certain héritage culturel, mais on veut aussi en même temps ajouter un côté de modernité, ajouter ce qu’on comprend, [nous] les gens du jour. »
Elle clame avoir la seule équipe à avoir monté ce type de spectacle au Québec. Il y a tout de même la compagnie de danse Shen Yun qui promeut l’art traditionnel chinois. Cette dernière troupe, basée aux États-Unis, s’éloigne du mélange des genres qui pourrait intéresser autant le public québécois que les membres de la diaspora chinoise, soupèse la comédienne et réalisatrice.
Les Sino-Québécois réalisent et consomment leurs propres produits culturels, mais dans leur coin, pointe l’artiste à tout faire. « Il y en a [des pièces de théâtre] qui existent dans la communauté chinoise. Leurs affaires, des fois, ce n’est pas d’un niveau si professionnel. Ou bien c’est communautaire, c’est entre la communauté. »
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.